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Un gaou à Tana
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14 septembre 2010

60%

Fragmentation
[Gopal - Fragmentation Série "Éphémères"]

Une conversation intéressante et animée que j'ai eue aujourd'hui m'a fait réfléchir.

Sous la pergola qui surplombe l'établissement, avec vue magnifique sur les collines, et qui rend le précieux moment de  l'encrassage pulmonaire tout-à-fait sympathique, je saisi  au vol des mots qui m'interrogèrent et me donnèrent envie de m'immiscer dans cette épineuse conversation.

L'un des interlocuteurs s'indignait (comme on sait si bien le faire quand on est expat') de cette société qui ne tourne pas rond, de la pluie, du beau temps, et de ces jeunes incultes pour qui l'urgence d'avoir un téléphone portable est bien plus grande que de se cultiver et d'essayer de s'en sortir... Je suis évidemment intervenu en bon avocat du diable que je suis pour susciter chez ces gens cultivés, eux, une once d'esprit critique, un degré d'analyse et une goutte d'empathie... En vain je pense et puis mon raisonnement reposait sur une réflexion que j'ai honnêtement eu la paresse de partager. Pas le temps et j'avais une clope à terminer.

Sur le chemin du retour, cette discussion m'est revenue et, comme frustré, je me suis dis que je partagerais un bout de cette réflexion (qui vaut ce qu'elle vaut) avec toi.

Selon des chiffres récents, 60% de la population malgache aurait moins de 25 ans. Autant dire, sans être un grand scientifique, qu'au vu du nombre d'entreprises et de perspectives de carrières qui s'offrent à elle, peu de chance pour cette jeunesse d'intégrer un emploi et suivre un schéma classique : qualification, boulot, maison. Les conduites  souvent dramatiques qui en découlent relèvent selon moi d'un instinct de survie : matérielle, culturelle, alimentaire (bien-sûr)... L'objet de départ de la "dite" discussion était la prostitution des lycéennes et des étudiantes qui, pour s'acheter le dernier accessoire, sont prêtes à mettre un temps précieux de leur vie entre parenthèses afin d'acquérir de toute urgence le bien convoité. Et "alors qu'il y a 20/30 ans, nous étions prêts à en baver, sans même avoir l'idée de ce type d'urgences matérialistes". Oui. Mais à cette époque, les "signes extérieurs de socialisation modernes" n'étaient pas les mêmes! Le téléviseur, la chaîne stéréo, les équipements divers ne pouvaient être envisagés qu'à partir du moment où l'on possédait un toit au dessous duquel les entreposer. Lycéennes et étudiantes n'auraient même pas pu amorcer cette forme d'ascension sociale par le biais de la prostitution. Cette dernière, puisqu'elle existait déjà, avait des buts autres (frais de scolarité, de santé, de nourriture...). Pourquoi aujourd'hui la prostitution se généralise-t-elle à ce point au cœur de cette jeunesse?

Je n'ai pas la prétention de répondre ici à cette question, je me pose juste en observateur qui se questionne. Pour moi, cette tendance lourde des conduites péripatéticiennes chez les jeunes malgaches n'est pas sans lien avec l'accessoirisation des "signes de socialisation modernes". Aujourd'hui on n'est plus in parce que l'on possède tel ou tel objet chez soi, aujourd'hui, c'est l'accessoire qui fait le larron. Le téléphone portable, le lecteur audio numérique, les mini-consoles, à quoi viennent s'ajouter la mode, qui a pris une toute autre ampleur, elle aussi aujourd'hui beaucoup basée sur les accessoires (sacs, bidules, chaussures, lunettes...) et sur l'aspect éphémère de l'objet et la fuite en avant vers le dernier truc tendance. Autant d'objet facilement accessibles en une passe ou deux. Elles sont pauvres, n'ont pas ou peu d'espoir d'un avenir reluisant, elles sont (pas moins elles que les jeunes américaines, anglaises ou russes) la cible de tabloïds qui font l'apologie de quoi? Être c'est consommer. Réussir c'est posséder. Peu importe les croulants aux savoirs académiques et ennuyeux. Pas de place pour l'ennui, d'ailleurs, mieux vaut zapper. Bref!

Tout cela pour dire que je m'interroge sur l'intérêt de juger une jeunesse à qui l'on sert un modèle, sans lui donner les moyens dignes d'y accéder. A 20 ans, on veut s'amuser et profiter de la vie, et on est qui pour les juger? Ces questions amènent forcément dans une direction encore plus sérieuse et dont je me ferai l'économie ce soir : que fait l'État? A-t-il une réelle marge de manœuvre face aux règles du jeu du commerce mondial, aux dettes imposées par la banque mondiale, au modèle culturel mondial qui méprise les cultures et civilisations des pays de Sud... Finalement ces Présidents que l'on dit dictateurs ne sont-ils pas un peu comme ces filles? Pieds et poings liés face à la condescendance des ex-colonies et à défaut de pouvoir agir, ne finissent-ils pas par se servir dans les caisses pour en profiter eux aussi...


Questions!

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